Zone Euro : La « forward guidance » de la BCE : un flou délibéré

Lors de la conférence de presse d’hier, Mario Draghi a ajouté un terme à la liste des mots importants, mais vagues, de la BCE : « près de ». La projection d’inflation de 1,7 % en 2020 s’approche-t-elle assez près de l’objectif visé : une hausse « proche de, mais inférieure à 2 % » ? Comme il fallait s’y attendre, la réponse à cette importante question posée par un journaliste n’a pas été des plus claires, le président de la BCE ayant tout intérêt à rester vague. D’une part, comme il l’a expliqué avec force éloquence, tout dépend de l’environnement : ce niveau d’inflation est-il viable en l’absence de l’orientation accommodante actuelle ? D’autre part, et il a passé ce point sous silence, un banquier central ne tient pas à se retrouver prisonnier de ses propres paroles : dire aujourd’hui que le niveau de 1,7 % est « assez près [de l’objectif d’inflation] » amènerait le marché à anticiper un changement de politique monétaire bien avant que ce niveau soit atteint, compromettant par là l’efficacité de la politique actuelle de soutien à la croissance et à la dynamique de l’inflation.

Exactement pour les mêmes raisons, aucune précision n’a été donnée concernant cette autre expression clé « bien au-delà » dans la déclaration de M. Draghi selon laquelle les taux actuels seront maintenus « bien au-delà de la fin du programme d’achat de titres ». Le refus de fournir plus de précisions s’explique là aussi par le souci d’éviter de s’engager sur la base d’un niveau ou d’une date spécifiques. Au risque de laisser les investisseurs sur leur faim : même si le risque et l’incertitude génèrent le rendement supplémentaire, au-dessus du taux sans risque, qu’ils recherchent, ils détestent l’incertitude et rêvent d’une communication claire qui définisse avec précision les termes « près de » et « bien au-delà ». Or, un tel rêve pourrait tourner au cauchemar : l’environnement est susceptible d’évoluer, contraignant la banque centrale à revenir sur ses orientations antérieures. De quoi donner la migraine aux investisseurs et entraîner une augmentation structurelle de la volatilité car chacun comprendrait alors que des orientations clairement affirmées sont une vue de l’esprit dans un monde truffé d’« inconnues connues ». C’en serait fini de la crédibilité de la banque centrale. Finalement, les orientations données doivent être suffisamment claires, tout en restant… suffisamment vagues. Et ce, dans l’intérêt de l’intervenant (la banque centrale) comme de son public (les marchés).

William DE VIJLDER