L’inflation dans la zone euro a inscrit un nouveau record en mars et devrait encore s’accélérer dans les mois à venir en raison de l’envolée des prix de l’énergie, ce qui complique la tâche de la Banque centrale européenne (BCE), contrainte de réagir simultanément à la hausse des prix et au ralentissement de la croissance.
L’indice des prix à la consommation calculé aux normes européennes (IPCH) affiche une hausse de 7,5% en rythme annuel après +5,9% en février, un chiffre nettement supérieur aux attentes puisque les économistes et analystes interrogés par Reuters prévoyaient un chiffre de « seulement » 6,6%.
Les prix de l’énergie affichent un bond de 44,7% par rapport à mars 2021, contre +32,0% en février. Ceux de l’alimentation, de l’alcool et du tabac ont augmenté de 5,0% en un an, ceux des biens industriels hors énergie de 3,4% et ceux des services de 2,7%, précise Eurostat.
Autant de chiffres supérieurs à l’objectif de 2% d’inflation que s’est fixé la BCE.
Au-delà des prix de l’énergie et des prix alimentaires, souvent volatils, l’inflation sous-jacente s’est elle aussi accélérée, ce qui risque de favoriser l' »ancrage » d’une inflation élevée, un mécanisme difficile à combattre une fois qu’il est enclenché.
Le taux d’inflation hors énergie et produits alimentaires non transformés ressort ainsi à 3,2% sur un an contre 2,9% un mois plus tôt, Une mesure plus étroite encore, qui exclut aussi l’alcool et le tabac, est en hausse de 3,0% après +2,7%.
L’inflation dans la zone euro est « très élevée », a reconnu Philip Lane, l’économiste en chef de la BCE, mais cette dernière doit prendre le temps d’analyser ces chiffres.
« Nous avons le choc des prix de l’énergie, la perspective d’effets de second tour qui poussent l’inflation à la hausse », a-t-il déclaré lors d’une interview à CNBC.
« D’un autre côté, la dégradation du sentiment, le fait que les revenus réels vont pâtir des prix élevés de l’énergie, surtout à un horizon d’un à deux ans, exerceront une pression négative sur les perspectives d’inflation », a-t-il ajouté.
LA BCE VEUT ÉVITER LA « STAGFLATION »
Une forte hausse des prix constitue souvent un handicap pour la croissance et la BCE s’attend à ce que celle-ci ait été légèrement positive dans la zone euro au premier trimestre et soit quasi nulle au deuxième, l’augmentation des factures d’énergie pesant à la fois sur la consommation des ménages et l’investissement des entreprises.
Un tel scénario menacerait la région d’une « stagflation », une situation économique conjuguant une inflation forte et une stagnation de l’activité.
La BCE peut certes espérer que la rechute des prix de l’énergie fasse baisser l’inflation au second semestre mais un tel reflux dans un contexte de croissance anémique pourrait avoir des effets pervers en faisant retomber la hausse des prix en dessous de son objectif.
Dans l’immédiat, la banque centrale ne peut de toute façon pas ignorer le niveau exceptionnellement élevé de l’inflation, d’autant qu’elle ne prévoit un pic que dans trois ou quatre mois et que les tensions sur le marché du travail (le taux de chômage a atteint en février son plus bas niveau historique) font craindre des pressions à la hausse sur les salaires.
L’institution présidée par Christine Lagarde doit en outre veiller à sa crédibilité, mise à mal l’an dernier par son discours longtemps réaffirmé du caractère « temporaire » de la poussée inflationniste.
Elle devrait donc resserrer le plus prudemment possible sa politique monétaire. Alors que les marchés financiers anticipent pour l’instant une hausse de 63 points de base des taux directeurs d’ici la fin de l’année, les décisions du Conseil des gouverneurs de la BCE pourraient être beaucoup plus limitées.
Un excès de prudence de la BCE pourrait la contraindre, si la hausse des prix se poursuit, à resserrer sa politique monétaire plus rapidement par la suite.
« Les chiffres sur l’inflation parlent d’eux-mêmes », a déclaré Joachim Nagel, le président de la Bundesbank. « La politique monétaire ne doit pas laisser passer l’occasion de prendre des contre-mesures opportunes. »
Les gouverneurs des banques centrales d’Autriche et des Pays-Bas, parmi les membres de la BCE les plus conservateurs, ont à plusieurs reprises prôné des hausses de taux dès cette année pour éviter une généralisation de la hausse des prix.